Pendant plusieurs minutes, nous jouons avec ces boutons/dessins : quand il appuie sur « on », je chante et quand il appuie sur « off », j’arrête. Avant de ranger son dessin, il me demande s’il pourra retrouver « ses boutons » la semaine prochaine. Je mets à sa disposition un haut-parleur et un MP3 qui se trouvent dans une de mes trois caisses. Nils semble ravi et veut écouter la musique. Avec mon aide, il relie les deux appareils par un cordon. Il gère le bouton on-off et le son. Je lui propose d’écouter les différentes musiques qui ont été préalablement installées par mes soins : de la musique africaine et des berceuses. Il me semble qu’il utilise le son comme une sollicitation auditive mais qu’il n’écoute pas la mélodie.
Il est obnubilé par le haut-parleur et, lors de notre deuxième séance, Nils va directement dans mes bacs pour voir où j’ai mis le MP3. Je tente alors de lui proposer un jeu avec une marionnette, qu’il accepte. Je constate que Nils exécute les consignes, il m’obéit et dit « oui » à toutes mes propositions tout en restant focalisé sur l’appareil MP3. Finalement, je prends le MP3, nous faisons le branchement ensemble et c’est en appuyant sur les boutons qu’il joue avec le volume, l’arrête et recommence. Pour accompagner les chants qui sortent du MP3, je lui propose différents instruments de musique qui ne semblent pas l’intéresser, à l’exception du bol chantant qu’il écoute tinter. Pendant les trois séances qui vont suivre son objectif sera de prendre le MP3 et le haut-parleur, de les brancher et de « pianoter » sur les touches. Je reste près de lui en « chantant », « clapant » le rythme, quelque fois en « dessinant » la musique sur une feuille et je lui propose de « faire » avec moi.
« Pour contrôler ce qui est en dehors, on doit faire des choses et non simplement penser ou désirer et faire des choses cela prend du temps, jouer c’est faire »°2 .
Amener le jeu pour faire émerger le « je »
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Lors d’une réunion d’équipe, nous parlons de Nils. C’est à cette occasion que j’apprends que ses parents sont déficients et qu’ils séjournent régulièrement en hôpital psychiatrique. Une coïncidence me frappe alors :
Après chaque séance, je prends des notes sur un cahier dédié à cet effet. Comme avec Nils, le mot « haut-parleur » revient souvent, dans mes notes j’écris en abrégé « HP ». Je fais le lien entre HP/Haut-Parleur et HP/Hôpital psychiatrique. Et si cette coïncidence avait un sens ? Peut-être qu’il essaie de nous dire quelque chose en répétant « hauts-parleurs » ? Peut-être que ce « quelque chose » est en lien avec ses parents ? J’interprète cette coïncidence comme un possible phénomène de synchronicité.
Notre monde fourmille de coïncidences qui peuvent être frappantes. Carl Gustav Jung a défini la synchronicité comme « une coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal entre eux et possédant un sens identique ou analogue ». C'est, en grande partie, grâce à ses expériences personnelles que Carl Gustav Jung élabora la théorie de la synchronicité avec le physicien Wolfgang Pauli, père du "Principe d'Exclusion ", l'un des concepts-clés de la physique moderne. Il disait :
« Nous pouvons penser que nous suivons notre propre chemin et ne jamais découvrir que nous sommes, en grande partie, des acteurs sur la scène du théâtre de la vie. Il existe des facteurs qui, bien que nous ne les connaissons pas, influencent notre vie, particulièrement lorsqu'ils restent inconscients. J'ai souvent rencontré les phénomènes en question, et j'ai pu me convaincre de l'importance de ces expériences. Dans la plupart des cas, ce sont des choses dont on ne parle pas de peur de les exposer à des ricanements sans réflexion. J'ai été étonné de constater combien de gens ont eu des expériences de ce genre, et avec quelles précautions le secret en est gardé ».
Consciente que c’est l’observateur qui confère une valeur à la synchronicité, j’approfondis quand même cette piste dont voici le cheminement :
Cet HP est un lieu où on enferme ses parents. Pourrait-il y avoir une porte ou une fenêtre pour créer un lien entre le dedans et le dehors, un émetteur et un récepteur, un aller et un retour ?